Cette fable a été éditée dans le premier recueil des Fables de La Fontaine, pour la première fois en 1668 (fable n°5 du livre I).
Elle oppose deux bêtes proches par la morphologie mais qui ont deux différents modes de vie : l’une est sauvage et l’autre est domestique. Cette confrontation permet à La Fontaine de présenter deux conditions : l’insécurité liée à la liberté et le confort lié à la servitude.
En voici le texte original (extrait du livre illustré par Emmanuel Guibert) :
Des versions contées
Patrice Gourdet et Sylvie Ronteix content Le Loup et le Chien :
Une autre version (audio) par Marie-Claude Bloch :
Écouter la fable de La Fontaine
- Pour écouter la fable de La Fontaine, voici une version audio sur le site Eduscol:
Ecouter la fable sur le site Eduscol
- Des versions de 78 tours numérisés sur le site de la Médiathèque Musicale de Paris et notamment la fable dite par Béatrice Bretty (actrice française, sociétaire de la Comédie Française, 1893-1982) :
Ecouter la fable de La Fontaine par Bétrice Bretty
Sur la chaîne de la Philharmonie de Paris, on trouve des enregistrements de 6 fables de La Fontaine dans leur texte original mises en musique par des artistes. La fable du Loup et du Chien est magnifiquement interprêtée par Birds on a Wire.
La vidéo est réalisée par David Unger, dessinée par Romain Ronzeau et produite par Le GRIZZLY :
Ce film d’animation est réalisé par les étudiants de 2ème année « Artisan de l’Image Animée » de l’école Georges Meliès. La totalité du texte de la fable n’est pas dite mais quelques phrases sont mises en exergue, ce qui est un procédé très intéressant. Bravo aux concepteurs (Alice Piro, Cécile Florentin, Aubry Cacheux et Monica Renoult) :
Lexique
Si la définition du lexique n’est pas l’entrée première pour rendre la fable compréhensible, certains termes gagnent à être expliqués dans un second temps :
Cancre (terme vieilli) : personne sans fortune
Haire (terme vieilli) : chemise grossière
Félicité (du latin Félicitas) : bonheur, prospérité
Les origines de la fable
Esope
La Fontaine s’est peut-être inspiré d’Ésope (écrivain grec ancien qui vécut vers la fin du VIIe siècle av. J.-C. et le début du VIe siècle av. J.-C.) :
Lien vers l’ouvrage des Fables d’Ésope (traduction par Emile Chambry) sur le site archive.org :
Lien vers l’ouvrage en français et en grec sur le site archive.org
La fable d’Ésope n’est pas la plus explicite. Elle met en avant le thème de la faim et non celui de la liberté comme le choisit La Fontaine.
Une autre fable d’Ésope peut avoir inspiré La Fontaine. Les protagonistes sont différents mais l’opposition entre vie sauvage et vie domestique est clairement mise en valeur :
Phèdre
Phèdre (écrivain latin du 1er siècle) a, lui aussi, écrit une fable intitulée Le Chien et le Loup.
Il annonce dès le départ de sa fable, qu’il s’attache au thème de la liberté. Ancien esclave affranchi d’Auguste, il écrit un texte assez long pour une fable et donne une autre dimension à son adaptation de la fable d’Ésope.
C’est sans doute dans cette version latine que La Fontaine a puisé son inspiration :
Lien vers l’ouvrage des Fables de Phèdre en latin et en français (traduction par Ernest Panckoucke) sur le site de la BNF :
Lien vers l’ouvrage sur le site gallica.bnf
Voici quelques points de comparaison entre la version grecque d’Ésope et la version latine de Phèdre :
Dans la fable de Phèdre, le loup n’est plus attaché lors de la rencontre comme dans la fable d’Ésope. C’est pourquoi le loup ne comprend pas tout de suite que le chien n’est pas libre. Phèdre imagine donc le cou pelé et l’aveu final du chien.
Ensuite, ce n’est plus le chien qui met le loup en garde. Dans la fable de Phèdre, le loup ne semble pas conscient de son asservissement.
Babrius
La version de Babrius relate la même histoire dans une version plus brève et met également en avant la notion de liberté :
Avianus
Si l’époque où vécu le fabuliste Avianus n’est pas datée avec certitude (fin du IVème siècle ?), il est certain que sa version est postérieure aux 3 citées précédemment. Il est d’ailleurs reconnu qu’il s’est inspiré de Babrius pour écrire ses 42 fables.
Dans sa fable le Chien et le Lion, il a changé l’un des protagonistes, remplaçant ainsi le loup par le lion, mais l’histoire est la même :
L’originalité de la fable d’Avanius tient aussi par le fait que le chien n’attend pas la question du lion mais commence tout de suite à vanter les mérites de sa condition.
Marie de France
Au XIIe siècle, la poétesse Marie de France publie ses fables et notamment le Loup et le Chien:
Un Loup et un Chien se croisèrent
Au beau milieu d’une clairière.
Le Loup, examinant le Chien,
Lui dit : « Frère, vous êtes beau !
Et quel luisant a votre peau ! »
Le Chien lui répondit : « C’est vrai.
je mange très bien, en effet,
Je dors sur un coussin moelleux
Aux pieds de mon maître et , bien mieux,
Tous les jours, je ronge les os,
Ce qui me rend bien gras, bien gros.
Il ne tient qu’à vous de venir
Et si vous savez obéir
Comme je fais, vous mangerez
Autant et plus que vous voudrez. »
« Vrai, j’irai », lui répond le Loup
Et ils s’en vont, cou contre cou.
Avant qu’ils ne fussent rendus,
Le Loup, tout soudain, aperçut
Le collier que le Chien portait
Et vit la chaîne qui traînait…
« Frère, dit-il, qu’est-ce ? Je vois
Sur ton cou un je ne sais quoi… »
Le Chien lui répond : « C’est la chaîne
Par quoi l’on m’attache en semaine
Car, sinon, je mordrais souvent
Et ferais tort à bien des gens
Que mon maître veut protéger…
Et donc il me fait enchaîner.
La nuit, je garde la demeure
Pour en éloigner les voleurs. »
« Quoi ? Fait le Loup, tu ne peux donc
Te promener sans permission ?
Rentre chez toi ; moi, je m’en vais :
Nul ne m’enchaînera jamais.
Mieux vaut vivre en Loup sans collier
Que vivre riche et enchaîné.
Puisque j’en ai encore le choix,
Rentre chez toi : je rentre au bois. »
Et par la chaîne fut rompue
La belle alliance ainsi conclue.
Cette version de Marie de France est traduite en français actuel mais consulter des transcriptions plus anciennes montre à quel point la langue française évolue :
Voir une édition de Charles Bruckner sur le site Sorbonne Université
Voir un manuscrit de cette fable datant de 1262 sur le site portail.biblissima
La morale
Cette fable présente 2 modes de vie que tout oppose :
- Le loup symbolise l’état sauvage
- Le chien symbolise la nature domestiquée
Le chien est riche et bien nourri, mais il est enchaîné, tandis que le loup, maigre et affamé, est libre de tous mouvements. Il court encore dans les bois pour préserver sa liberté, le bien le plus cher, plus précieux que tous les trésors.
Le collier représente la servitude (ici du chien à l’homme mais plus généralement de l’homme à quelconque autre homme ou gouvernement).
Le dilemme présenté porte à débat : vaut-il mieux vivre dans le confort mais se soumettre ou être pauvre mais libre ?
La morale de la fable de La Fontaine n’est pas explicite mais le conflit de valeur présenté penche en faveur du loup qui semble bénéficier de la sympathie du fabuliste (« Maitre Loup »).
Dans le contexte historique du XVIIème, on peut mettre en lien cette fable avec les critiques de La Fontaine à l’égard de la cour et des courtisans, ses démêlés avec le roi (ou ceux de Fouquet, son protecteur, avec le roi)… Après la disgrâce de Fouquet en 1661, La Fontaine reste à l’écart du système des pensions octroyées par le roi aux écrivains dociles, à partir de 1663.
La Fontaine fait remarquer implicitement que les courtisans sont traités comme le chien de la fable. En effet, à la cour de Versailles, les plus chanceux étaient nourris aux frais du roi.
Tout ce qui n’était pas mangé au repas de Louis XIV allait à une table de courtisans, puis à une autre table moins noble, ainsi de suite : l’aristocratie mange les restes de Louis XIV, les gentilshommes ceux des courtisans, les domestiques ceux de la noblesse, les simples valets ceux des valets de chambre du roi… puis attribués aux cuisiniers, aux rôtisseurs, aux pâtissiers, aux jardiniers. Vient ensuite le tour des serveurs, qui peuvent, à leur guise, vendre ou redistribuer leurs propres restes.
Pour les courtisans qui n’avaient pas le privilège de la table, ils disposaient parfois de petites cuisines dans leur appartement du château. Mais pour les moins fortunés il fallait se débrouiller tant bien que mal pour se remplir l’estomac et rester dans la course des courtisans.
Les illustrations
En observant les représentations graphiques anciennes, les intentions de La Fontaine de traiter de la question de la servitude (non seulement du chien à l’homme mais plus généralement de l’homme à quelconque autre ou gouvernement) sont clairement mises en évidence :
Voici donc quelques illustrations postérieures à La Fontaine :
Une lithographie de Carle Vernet (1818) :
Illustration de Louis-Maurice Boutet de Monvel dans « Fables choisies pour les enfants et illustrées », 1888, Plon-Nourrit & Cie
Un dessin de Jean Ignace Isidore Gérard Grandville (1838-1840):
Un autre dessin de Granville : 1838
Auguste Vimar (1897):
Consulter l’édition de 1897 des fables de La Fontaine illustrées par Vimar :
Celle de Benjamin Rabier (1906):
La récupération publicitaire
Pour terminer cet article, voici des publicités qui pourront faire sourire ! Si on peut faire un lien entre le chocolat et l’embonpoint (du chien ou de l’homme), on peut s’interroger sur le charbon de Belloc !!
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